Avec la remise en cause, par les États-Unis, des fondations du système géopolitique mondial tel que nous le connaissons depuis des décennies, le monde se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Mais des fissures sont en réalité apparues il y a bientôt vingt ans : les différentes administrations américaines qui se sont succédé après la crise financière de 2008[1] – dont celle du président Joe Biden – ont en effet cherché à détricoter le cadre multilatéral existant en nouant des alliances avec certains de leurs partenaires commerciaux plutôt qu’avec d’autres. Et le phénomène s’est accéléré dès le début du deuxième mandat de Donald Trump, puisqu’en l’espace de quelques semaines, son gouvernement a pris un virage décisif, en revenant sur les engagements des États-Unis en matière de défense et en œuvrant pour modifier les systèmes commerciaux et financiers.
Ce virage stratégique pourrait avoir des conséquences sur le long terme, et ce, quels que soient les nouveaux changements qui pourraient survenir à la tête des États-Unis. En renonçant à l’instrument diplomatique comme levier de négociation, les États-Unis pourraient devoir devoir recourir à d’autres moyens pour atteindre leurs objectifs. La Chine et la Russie, deux États depuis longtemps insatisfaits du système libéral tel qu’il leur a été imposé par l’Occident, ont également recours à leurs capacités commerciales et militaires pour tenter de façonner le monde à leur avantage. Et alors que la plupart des pays européens continuent de défendre les droits humains et la démocratie, l’absence de constance dans le leadership américain fait qu’il est plus difficile de présenter ces idéaux comme des valeurs fédératrices.
Dans cet article, nous présentons quatre scénarios possibles pour le monde de demain.
L’équipe Night Watch : un éclairage pour demain
Quand l’incertitude atteint des niveaux extrêmes, les gérants de portefeuille ne peuvent généralement pas se fier aux prévisions faites à un instant T pour prendre les bonnes décisions d’investissement. C’est là qu’intervient l’équipe Night Watch de Capital Group, dont le nom s’inspire du chef-d’œuvre « De Nachtwacht » (La Ronde de nuit) de Rembrandt, en apportant aux professionnels de l’investissement une analyse approfondie des perspectives possibles.
Composée d’économistes, d’analystes politiques et de gérants de portefeuille, elle a recours à un outil d’analyse de scénarios pour appréhender les perturbations observées sur les marchés, et évaluer les différents risques et opportunités découlant de ces crises profondes. Il ne s’agit pas d’anticiper une issue spécifique, mais plutôt d’élaborer une série de scénarios prospectifs à partir des différents points de vue des spécialistes de Capital Group, scénarios que nous traduisons ensuite dans une approche d’investissement.
« Nous ne faisons pas de prévisions », explique Jared Franz, économiste spécialiste du marché américain chez Capital Group. « Nous nous efforçons plutôt d’identifier différents narratifs débouchant sur une vision plausible de l’avenir, et de les transposer dans le contexte de l’investissement, de manière à ce que nos gérants de portefeuille puissent se préparer à prendre des décisions d’investissement en fonction des scénarios qui se seront matérialisés. »
Par le passé, l’équipe Night Watch a évalué plusieurs crises majeures, telles que la pandémie de covid-19, certains conflits armés et des crises de la dette. Elle s’efforce d’envisager les enjeux avant qu’ils ne surviennent ou ne s’aggravent, et d’identifier les événements qui, bien qu’ils soient peu susceptibles de se matérialiser, pourraient avoir des conséquences lourdes.
Un cadre applicable à un avenir incertain
Cette année, l’équipe Night Watch s’est penchée sur la décision de l’administration Trump d’instaurer des droits de douane historiquement élevés et de réorganiser les alliances traditionnelles en matière de sécurité. Le travail préparatoire pour cette analyse a été lancé peu après la réélection de Donald Trump à la présidence américaine, en novembre 2024.
L’ordre mondial actuel est en train de se diviser en deux puissants axes de pouvoir : le pouvoir économique et le pouvoir militaire. Sur le font économique, le monde pourrait évoluer dans deux sens opposés : la négociation d’accords tactiques ou un découplage majeur. Dans un scénario d’accords commerciaux, les droits de douane seraient un puissant levier de négociation (tout en restant limités), les flux de capitaux demeureraient robustes et les chaînes d’approvisionnement seraient adaptées (suivant le principe du « friendshoring », ou rapprochement de la production dans des pays alliés et voisins). À l’inverse, dans un scénario de découplage, les négociations échoueraient, les droits de douane deviendraient permanents, des blocs commerciaux se formeraient, la circulation des marchandises et des capitaux serait entravée et le dollar US perdrait son statut de monnaie de réserve mondiale.
Sur le front militaire, le monde pourrait évoluer aussi dans deux sens opposés : des alliances de long terme et des actions de dissuasion stratégique, ou des démonstrations plus visibles de domination. Dans les scénarios de coopération – comme on a pu l’observer dans l’environnement international de ces 70 dernières années –, les alliances, telles que l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), demeureraient stables, les conflits seraient gérés de manière multilatérale et la diplomatie jouerait un rôle central dans l’atténuation des tensions. Dans un tel environnement, les dirigeants de pays useraient d’approches plus modérées pour défendre leurs intérêts. En parallèle, les États-Unis pourraient soutenir les efforts visant à promouvoir la désescalade et le dialogue.
Dans un scénario de coopération plus limitée, en revanche, les grandes puissances pourraient tenter d’imposer leurs intérêts de manières plus directes – avec, potentiellement, l’occupation de régions stratégiques, l’intensification des conflits régionaux et le risque accru de prolifération des armes. Dans cet environnement, l’efficacité des institutions multilatérales, comme l’ONU, pourrait être remise en question, à l’instar de ce qu’on a pu voir par le passé, où les structures de gouvernance mondiales ont peiné à maintenir leur influence.
Ensemble, ces dynamiques s’articulent pour former quatre grands scénarios géopolitiques, qui auront chacun des retombées profondes en termes de stabilité, d’intégration économique et de diplomatie..
Les conséquences potentielles d’un réalignement géopolitique
À la lumière des perspectives économiques et sécuritaires énoncées plus haut, notre équipe Night Watch a identifié quatre scénarios : Guerres commerciales, Grands accords commerciaux, Grandes puissances mondiales et Nationalisme affirmé.